Studio One: It deep...
Voici le parfait 45 Tours Studio One ! Déniché dans les bacs d’originaux à Kanaga Records, Paris, ce It Deep du regretté Lloyd Robinson, a tous les ingrédients propres à ce studio légendaire, ouvert en 1963 par Clement ‘Coxsone’ Dodd—les meilleurs comme les pires...
Le logo est le classique « 1 Studio » blanc inscrit dans une bannière stylisée noire, avec la fameuse inscription en bordure de label : Recorded by Jamaica Recording & Publishing Studio 13 Brentford Road KGN 5. 1978, annonce la Face A. C’est la période où The Gladiators jouent comme groupe de session chez Coxsone et ils seraient derrière ce terrible riddim que cela n’aurait rien d’étonnant —on le croirait sorti tout droit de leur propre album Studio 1 de la même période, Presenting. Á la fois rentré et lumineux, il propose une basse sourde qui avance en aveugle, sans un regard en arrière. On repère de curieux overdubs (c’était la mode) et un keyboard, sans doute un peu trop présent. Quoi qu’il en soit, c’est un riddim aussi somptueux que mal enregistré. Le producteur Jo Jo Hookim de Channel One, disait que les musiciens de Coxsone donnaient l’impression de jouer sous l’eau—ici, ils étaient carrément 20,000 lieues sous les mers ! Étouffé, presque saturé, le son semble peiner à s’émanciper du vinyle tandis qu’un « shhhhh » parasite la totalité du morceau, probablement à cause d’un stamper de mauvaise qualité, d’une presse vieillissante et, peut-être d’une matière première (vinyle) recyclée à l’arrache (tous les exemplaires de ce disque présentent ce défaut plus ou moins marqué). Le genre de son qui a dégoûte de nombreuses personnes de Studio 1 ; comme le disait Mikey du sound system Emperor Faith : Studio One était le pire studio de Jamaïque et il en sortait la meilleure musique. Car oui, il y a la musique...
" Studio 1 était le pire studio de Jamaïque
et il en sortait la meilleure musique."
Lloyd Robinson est l’auteur d’un classique, le caniculaire Cuss Cuss. L’original fut enregistré pour Harry J mais il en a fait une version dévastatrice en mode rub-a-dub pour Coxsone, à la même période. Suite à un parcours chaotique et une discographie trop éparpillée, Lloyd Robinson est décédé il y a quelques années, oublié de la plupart des acteurs du reggae. Quel dommage ! Son écriture est à part, unique. Sérieuse et ‘serrée’, elle s’épanouit néanmoins loin des codes classiques, et ses titres résonnent plutôt comme des cris de l’âme. Pas étonnant qu’il ait été si proche du producteur Glen Brown ! Ce It Deep est l’illustration parfaite de son écriture : un titre en patois (Lloyd a une légère intonation « country » dans son chant) pour une mise en garde toute en sagesse populaire (Tu sautes dans l’eau an croyant que tu auras pied, mais c’est profond - it deep!) et des phrases courtes, lâchées avec conviction sur le riddim et secondées par des longues plaintes vocales dont il avait le secret. Jump in the water you think it shallow but it deep, it deep—hu, it deep ! / What you gone what you gona do ? I want to know...
En Face B, un dub conventionnel joue surtout sur les apparition/disparition des pistes vocales et de la guitare rythmique, faisant la part belle à l’énergie brute de ce riddim typique. Studio 1, où la démonstration que le talent prime toujours la qualité technique. En posant ce 45 Tours sur notre platine, nous pensions que nous aurions pied, mais... it deep !
- Lloyd Robinson, It Deep (Studio 1, 1978).
Repressé en 2004. Prix d’achat : 7€.