Junia est décédé
Nous apprenons ce jour, le 11 juin 2019, la triste nouvelle : Junior Walker, alias Junia, s'est éteint. Son nom ne sera pas familier à tous, il avait participé à la légende parallèle du reggae, celle des artistes indépendants qui ont tout donné pour leur passion sans nécessairement récolter la gloire. Mais Junia avait reçu bien plus, et son parcours discret était jonché de rencontres magiques et d'enregistrements de qualité. Il s'était raconté, voici quelques années, dans un livre autobiographique, preuve de son amour pour sa musique et sa culture. L'extrait suivant fut publié dans Natty Dread en Décembre 2000, après une rencontre marquante avec cet artiste qui ne chantait pas pour se voir en photo dans les magazines...
JUNIOR WALKER, Humble édifice
Junior Walker. Un nom discret qui ressurgit aujourd'hui par le biais de la compilation Glad Tidings. Quinze morceaux qui dévoilent le parcours d'un chanteur atypique. Né dans le ghetto, Junia décroche un travail à la banque Barcklay's, à Kingston, où il anime des soirées d'entreprise avec son petit sound system. En allant chercher ses costumes chez son tailleur, au 127 King Street, il découvre la boutique de Bob Marley où il s'arrête pour fumer des chalices, discuter. Il y croise le producteur Keith Hudson en 73 et décide de s'associer avec lui. "Je voulais bosser avec Bob, au départ, confie Junia sur un rire malin. Mais il était... si tough (rires). Ça m'a impressionné." Au début, Junia, se contente d'aider financièrement Keith. "Il venait me trouver à la banque, me disait : On va en studio, on a besoin de tant." Il paie alors les sessions de l'album reconnu Pick A Dub. Après avoir participé à l'écriture de l'album Rasta Communication, Junia se retrouve seul lorsque Keith quitte la Jamaïque pour New York en 76 ; il finit par l'y rejoindre en 79. quelques mois avant de revenir pour produire ses propres compositions. Sortent alors Black Africa, No Respectors of Persons, et So Much, sur son label Jusic. Derrière les tout-puissants Gregory Isaacs ou D. Brown, Junia se contente de quelques centaines de ventes, assurant fabrication et distribution avant de s'associer à Earl Chinna Smith et Bertram Brown pour tenir le magasin High Times, à Kingston.
Humble Man
Junia est humbe et appliqué. Un esprit qui plaît à King Tubby qui mixe ses enregistrements. "Il m'aidait un peu, avoue le chanteur. Un jour il m'a dit : c'est ce type qui va mixer tes titres ! Il a insisté parce que moi, je voulais que ce soit lui personnellement qui le fasse. Mais j'ai accepté finalement. Ce type, c'était Scientist (rires) ! Il y a pire..." Oui. Avec High Times, les choses sont plus faciles niveau business. Son premier album, Roots Rock Reggae Showcase sort en 82. Puis The Attack, une compilation de ses productions avec Frankie Paul, Devon Russell... Suit Dub Jusic, en 89, un opus dub réédité depuis (Walboomers). Finalement, surpris par le dance hall et le slackness (qu'il ne condamne pas), Junia s'est retiré à New York où il est devenu chauffeur de taxi, sans laisser tomber la musique. "Aujourd'hui, une nouvelle place est laissée au roots, j'en profite, sourit-il." S'occupant de ses enfants, il mène sa barque avec calme, une attitude qui lui a otujours valu le respect du ghetto, en Jamaïque. "On me respectait, personne ne venait me dire : Hey Junia, je veux brauqer la banque où tu bosses, j'ai besoin d'infos (rires) ! J'ai toujours pu aller où je voulais." C'est ce qui lui a permis de construire son propre édifice. Une bâtisse roots et humble. Ce sont souvent les plus solides.
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