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Edward Seaga, le père des garnisons est mort.

Cette nuit du 28 mai 2019, Edward Seaga s'est éteint dans un hôpital américain. Il avait 89 ans. Il emporte avec lui 60 ans de politique jamaïcaine, et une odeur de souffre qui le suit jusque dans la tombe. L'un des principaux instigateurs du système de terreur articulé autour des "garnisons" (quartiers politisés), il restera dans les mémoires comme le père de Tivoli Gardens, à Kingston ouest. Quartier misérable, centre névralgique des gangs locaux... Un petit enfer tropical sur terre.

Entré en politique dans les années 60 sous les auspices du Chief, Alexander Bustamante, il s'impose rapidement comme une figure de proue du Jamaican Labour Party (JLP) dont il prend la tête à la veille des élections de 1976. Son arme de prédilection contre le Premier Ministre socialiste Michael Manley ? La déstabilisation politique. Il usera de propagande, de force physique et de magouilles en tous genres. Soutenu par la CIA, à qui il décrit son île comme un nid à communistes, il est élu Premier Ministre en 1980, à la suite des élections les plus violentes de l'histoire de la Jamaïque (800 morts). Il n'aura eu de cesse d'oeuvrer dans les coulisses jusqu'à la fin de sa vie, pratiquant une politique de "papa", où les fins justifiaient les moyens. Ami de Ronald Reagan, qu'il rencontre lors d'un passage peu glorieux à Harvard, il n'en devient pas pour autant la marionnette des USA après son élection, menant une politique obscure connue sous le nom de Seaganomics.

Il s'était confié, voici quelques années, dans une autobiographie en deux volumes où sa personnalité s'échappait de chaque phrases.

Il meurt aujourd'hui et les honneurs pleuvent. "Les deux pires choses arrivées à la Jamaïque, confiait le producteur du label Wackie's, c'est Dudley Thompson et Edward Seaga." Le premier, au sein du parti du PNP, avait livré une guerre sans relâche au second à Kingston ouest. Les deux reposent aujourd'hui six pieds sous terre. En paix ? Ca les changerait...

Voici l'introduction du portrait que nous lui consacrons dans LES HOMMES ILLUSTRES DE JAMAIQUE et que vous pourrez entendre lors de la CONFERENCE au DUB CAMP cet été. La photo, représentant son portrait peint sur les murs de sa "garnison" de Tivoli, sera quant à elle exposée en 70x50cm lors de notre prochaine exposition Jamaica Insula à la rentrée.

Extrait :

SEAGA, Edward

(1930-2019)

L’Aveugle au Pistolet

S’il manquait un diable à la tragique Jamaïque, Edward Seaga conviendrait sans doute au rôle autant qu’un autre. Il y eut, dans la voisine Haïti, un Baron qui sortait le samedi soir, pour hanter les cimetières avec son haut de forme, sa queue de pie, son crâne pâle et son cigare. On craignait ses humeurs païennes et ses imprécations, ses sorts surtout, sortis des ténèbres les plus noires. La Jamaïque, elle, eut ce mystérieux Mr Brown, qui déambulait dans les bidonvilles depuis le fond de son cercueil, riant de toutes ses dents découvertes, faisant fuir les petits enfants et grimacer les plus grands. Dans les années 50, on l’aperçoit surtout dans la petite communauté de Buxton Town, au volant de sa petite Vauxhall de couleur noire, son petit corbillard. Il fait peur, tout de suite, de manière instinctive – les enfants du village le fuient comme la peste, on l’appelle le black-heart-man, l’homme au cœur noir. La figure ténébreuse des contes pour enfants, qui enlèvent les marmots pour leur dévorer le cœur tout cru. Qui est Mr Brown ? Edward Seaga. Eddie, pour les intimes. Et que fait Mr Brown ? Il étudie. Le vaudou local, on l’appelle l’obeah. Des rites obscurs, entourés de mystères et de légendes sanglantes, berceau de terreurs nocturnes, héritage de l’Afrique noire, cette part de ténèbres que les maîtres blancs n’ont pas réussi à extirper de l’âme de leurs esclaves. Par delà les siècles et les océans, l’obeah effraie les plus sensibles et réjouit Eddie. Rapidement, il s’intéresse au mouvement revivalist, né vers 1890 du côté de Manchester, scindé depuis en deux branches distinctes, le Pukkumina et le Zion. Pour mieux le comprendre, il s’enfonce dans le bidonville de Dungle, Kingston ouest. Une décharge publique. Sa petite chambre est proche d’une église « revivalist », qu’il fréquente assidûment. Mais ne croyez pas notre Eddie coupé des grands de ce monde pour autant. Car on le croise aussi auprès du politicien le plus influent de son époque, Alexandre Bustamante. Busta, comme il lui demande de l’appeler dès leur première rencontre impromptue en 1957, par l’intermédiaire de papa Seaga. Busta n’est pas de la haute mais son parcours politique et son aura forcent l’admiration et le respect du jeune homme. Un personnage à l’ancienne, prompt au coup de gueule comme au coup de poing, un orateur populiste, plus sensible à la portée émotionnelle de son discours qu’à sa syntaxe. Un type à la personnalité débordante comme en raffolent les foules jamaïcaines qui l’ont hissé à la tête du Jamaican Labour Party (JLP). La légende dit que Seaga est naturellement attiré par le camp ennemi, celui du cousin de Busta, Norman Manley, le People’s National Party (PNP), où on ne veut pas de lui. De son côté, il n’évoque que sa relation avec Busta qui le prend rapidement sous son aile. Il devient sa créature, la recrue la plus efficace du parti à l’aube de l’indépendance de 1962. Voilà pour le mentor des sphères politiciennes. Pour celles de la rue, d’où tout politicien jamaïcain doit tirer sa légitimité, il y a un homme – craint et puissant. Kapo. Malachi Reynolds de son vrai nom, « Capitaine » d’un groupe Zion. On raconte partout que c’est un grand maître obeah. Il préfère parler de « guérisseur par la foi », les fameux « faith healers ». Eddie a un petit magnétophone, grâce auquel il enregistre les cérémonies rituelles de Trench Town. Il s’agit de chants ininterrompus, en « bailo », le Jamaïcain, ou en « country », la langue Kumina – un reste d’Angolais. Ces enregistrements intéressent Folkways Inc. qui les presse sans demander la permission. Eddie ne s’en offusque pas, au contraire. Ravi de pouvoir diffuser ce média culturel, il fait le tour des disquaires. Ces derniers lui prennent quelques exemplaires, sans grand enthousiasme. Ce qu’ils veulent plus que tout ? Les disques américains. Ceux qui passent à la radio, les tubes du moment, voilà ce que veulent leurs clients. Des instances pressantes qui ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Seaga se lance dans le business. Il a 27 ans. (...)

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