Reggae Focus : TERROR, la fin d'un mythe ?
L’un des plus gros mythes liés à Marley, et peut-être le plus emblématique, vient de tomber. Non, le single Terror, soi-disant enregistré par Bob Marley, n’a jamais été pressé, même en blank. Analyse de la mort d’un mythe.
Bob Marley est encore un adolescent lorsqu’il enregistre son premier morceau pour Leslie Kong, Judge Not, en 1962. Le producteur lui demande alors de revenir, pour une seconde séance d’enregistrement à laquelle Bunny Wailer dit avoir assisté. C’est à cette occasion que Bob aurait enregistré ce fameux morceau, Terror. Dans l’ouvrage So Much Things to Say de Roger Steffens, il explique : « J’étais présent quand Terror a été enregistré à la deuxième séance de studio (restée inédite). Il était prévu que j’enregistre Pass It On à cette séance mais je suis arrivé en retard. Bob a reçu vingt livres et il s’est acheté de belles fringues. » Trop en retard pour enregistrer, donc ; mais pas assez pour ne pas assister à l’enregistrement de Bob.
Contacté par nos soins, Roger Steffens explique : « Terror fut enregistré lors de la seconde session (Leslie) Kong. Bunny nous a chanté les paroles à Leroy Pierson et moi-même pour le livre d’interviews que nous avons réalisé en 1990. Quelqu’un en qui j’ai entière confiance en a même écouté les 30 premières secondes ; mais le propriétaire de la bande en voulait 60 000 dollars. Peut-être en existe-t-il une copie, mais il y a de fortes chances pour qu’une bande unique se trimballe quelque part. » Difficile de faire plus iconique, en effet. Mais avec le développement d’internet, difficile aussi de croire que cette bande soit restée silencieuse si longtemps. Après tout, 60 000 dollars pour un tel morceau ne semble pas abusif devant les perspectives commerciales qu’il ouvre. Mais les collectionneurs de Marley n’ont-ils pas voulu y croire trop fort ?
" Un peu comme une plaque d’immatriculation, le numéro de matrice, gravé dans le vinyle sur le bord du macaron,
permet souvent l’identification d’un morceau.
Et celle-ci n'a rien d'anodin."
L'auteur Timothy White, dans son livre Catch A Fire (1983), fut l'un des premiers à mentionner le single Terror, tout comme Stephen Davis dans Bob Marley (1983). Mais quelques années plus tard, dans les années 80, le mythe de Terror prend une nouvelle dimension lorsque le vendeur anglais Bob Brooks, de Reggae Revive, met un exemplaire du titre en vente ! Sagement listé dans la partie Bob Marley & The Wailers and Associated Recordings de son catalogue, apparaît le titre... Terror ! Bob Brooks le crédite à Bob Marley et signale un « instrumental inconnu » en Face B. Le 45 Tours serait un « blank » (avec un macaron vierge) flanqué d’un tampon Beverley’s (le label de Leslie Kong). Fait irrévocable, il est même affublé d’un numéro de matrice, FLK-2338-4 ; un peu comme une plaque d’immatriculation, le numéro de matrice, gravé dans le vinyle sur le bord du macaron, permet souvent l’identification d’un morceau. Et celle-ci n'a rien d'anodin puisqu'elle est calquée sur celle du titre Judge Not (FLK 2338-1), laissant à penser qu'il s'agit d'une même session ! De plus, Bob ajoute, entre parenthèses : « Attention, seules les enchères sérieuses seront prises en considération. » Enfin, on trouve la mention « very rare / très rare » qui achève de convaincre que le vendeur détient bien ce disque mythique. Bob Brooks est un nom connu des amateurs de disques. Il s’est lancé dans le business en rachetant des fonds de stock de 45 Tours à Clive Chin, de Randy's / VP Records, à New York. Installé du côté de Portobello Road, non loin d’Honest Jons Records, il a tenu une petite échoppe pendant de longues années, où se rassemblent nombre de passionnés de musique. Mais il finit par plier bagages pour se concentrer sur la vente par internet. Très difficile à joindre depuis quelques années, il gardait pour lui les mystères de ce Terror. A qui l’avait-il vendu ? Avait-il copié la chanson sur K7 ? Pris une photo du 45 Tours ? Autant de questions restées en suspens.
Lors d’une récente discussion avec des amis, Bob Brooks a enfin lâché le morceau : « J’avais listé la chanson Terror pour faire une blague. C’est la chanson qui a été enregistrée mais jamais été pressée. Beaucoup de gens l’ont cherchée ces 30 dernières années, mais j’ai peur qu’elle n’existe plus. » Voilà. Fin de l’histoire. Pour beaucoup de collectionneurs, la « blague » était évidente à l’époque, et ils n’ont jamais pensé que Bob Brooks tentait d’arnaquer les gens ; sa probité reconnue par ailleurs semble le mettre à l’abri d’une telle accusation. Cependant, il s’agit d’une « hoax », ou « blague », bien huilée qui n’a cessé de ses répercuter dans toutes les discographies. Même si, comme dans celle publiée à la suite du livre Bob Marley & Moi (Don Taylor) par nos soins, les informations sont prudemment suivies d’un point d’interrogation.
Fin du mythe Terror, donc ; ou du moins de la moitié du mythe qui fut toujours racontée, puisque personne ne semble remettre en question le fait que la chanson a bel et bien été enregistrée. Ce qui reste encore à prouver.
Attention : le single ci-dessus est un montage DREAD Editions, illustration en clin d'oeil.
Remerciements : Olivier Albot, Eric, Roger Steffens.
ENGLISH VERSION :
The song Terror is the ultimate Grail for any reggae fanatic. Supposedly recorded by Bob Marley during his second recording session for Leslie Kong in 1962, it has never been released. Bunny Wailer says he was there when Bob recorded it, and Roger Steffens (the American collector) says he knows a trustworthy guy who knows a guy who played 30 seconds of it on a tape for him—he wanted to sell it for 60,000$, Steffens adds. In the 80s, reggae vendor Bob Brooks (from Reggae Revive) listed it for sale as a blank single featuring an unknown instrumental on the flip and bearing the matrix number FLK-2338-4. For the following 30 years, thousands of collectors have looked for it. But today, the quest is over. Indeed, Bob Brooks has just admitted that he had listed it as a joke—and that he never had a copy in his possession. End of myth—or end of a part of the myth, since Terror was actually recorded at time. Until proven otherwise, that is.