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Cartouche, 297 ans !

​Il y a 297 ans, jour pour jour, périssait Louis-Dominique Cartouche (1693-1721) sur la roue ! DREAD Editions, qui a réédité le livre qui, en 1789, fit de lui un "heros populaire", revient sur le parcours atypique du premier ennemi public numéro 1 de l’histoire de France. Cartouche aura été le jouet des circonstances et de la fortune. Bien avant sa mort, tantôt affreux, tantôt flamboyant, il ne s’appartenait déjà plus. Certains hommes voient le jour pour incarner une époque, une idée. Cartouche fut de ceux-là.


Le 28 novembre 1721 vers 13 heures, on allonge Cartouche sur la croix de Saint-André, en place de Grève (l’actuelle place de l’hôtel de ville). Le bandit apparaît pâle, affaibli, les jambes broyées par une séance de torture « aux brodequins », survenue la veille ; elle consiste à enserrer les jambes d’un suspect entre des planches puis d’y insérer violemment des coins de bois pour écraser les membres, broyer les chairs et les os. La douleur a été telle, qu’il a perdu connaissance plusieurs fois, pensant mourir. Mais sans rien avouer. Il a fini par parler, cependant ; mais uniquement en découvrant le lieu de l’exécution, la veille ; pour gagner du temps, il a voulu faire son « testament de mort ». Une dernière confession de dix-huit heures ! Au cours de laquelle il reconnait être le terrible Cartouche recherché à travers tout le royaume. Il livre aussi le nom de ses nombreux complices. A-t-il voulu se venger en constatant que personne ne volait à son secours ? Voici ce que prétend la biographie anonyme, Histoire de la Vie et du Procès du Fameux Louis-Dominique Cartouche (HVPFC), qui sort peu après sa mort. Petit ouvrage à bon marché, il s’arrache dans tout Paris, dans toute la France et à travers l’Europe. On en aurait écoulé des millions ! Mais cette brochure, parue sous le contrôle de la police des livres, n’a de cesse que de noircir le « scélérat ».




Testament de Mort

C'est le fameux bourreau Sanson qui lui assène les coups de barre de fer, onze au total. Le supplice dure une vingtaine de minutes, puis on abrège ses souffrances en l’étranglant à l’aide d’une discrète cordelette. C’en est fait de Cartouche. Malgré le froid et une longue nuit d’attente, on se presse au pied de l’échafaud ; certains ont même loué les balcons alentour pour mieux jouir du spectacle. Il faut dire que Cartouche est une curiosité, presque une "star". Pas un crime, pas un chapardage ou un cadavre repêché dans la Seine ces deux dernières années qu’on n’ait imputé à sa bande de cartouchiens. Il est vrai que la capitale semble livrée aux hordes scélérates en cette période trouble de la Régence de Philippe d’Orléans (1715 - 1723) ; et que l’insécurité ne fait rien pour redorer le blason d’un dirigeant mal-aimé et décrié pour sa mollesse. « Une sorte de délire s’était emparé de la nation, lit-on dans les Mémoires de Sanson (Paris, 1862). Cette fièvre des richesses, cette soif des plaisirs, ce va-et-vient des fortunes, peuplaient Paris d’un monde d’ambitieux déçus, de joueurs ruinés, de libertins inassouvis, tout prêts à demander au crime les jouissances qu’une vie régulière leur avait refusées. » Tel est le terreau du mythe Cartouche, un monde en pleine bascule, qui se cherche des boucs-émissaires aussi bien que des héros. Cartouche sera les deux à la fois.

On ne parle plus à Paris que de pendus et de rompus

Cartouche devient un mythe en partie grâce au Lieutenant de police Marc-René d’Argenson (1651-1721) qui, de 1697 à 1718, modernise l’institution policière en infiltrant le milieu de la pègre par le biais d’innombrables mouches (indicateurs). Il use et abuse, par ailleurs, des expéditives lettres de cachet afin de faire « trembler nos scélérats ». Á en croire la biographie de Cartouche, notre larron aurait même travaillé pour lui, à ses débuts. Une mouche, Cartouche ? Un tueur de mouches, plutôt. Et pire encore. En 1720, lassé d’avoir l’exempt (policier) Huron sur le dos, il l’assassine avec l’aide de deux complices. Une première dans les annales du crime. Un « client », le Cartouche. Mais de là à diriger une « société secrète » de cinq cents voleurs... La police le décrit pourtant comme le parrain du crime organisé à Paris. Pour créer un écran de fumée, sans doute, derrière lequel dissimuler l’inefficacité de ses services, et la corruption générale d’un royaume rongé par les scandales financiers. Cela permet aussi de justifier la purge qui suit l’exécution de Cartouche. Entre 1721 et 1724, plus de sept cents personnes sont arrêtées, 350 condamnées et une soixantaine exécutées ; toutes décrites comme des complices du défunt Cartouche. Chroniqueur de son temps, le célèbre avocat Edmond Jean-François Barbier (1689-1771) souligne : « On ne parle plus à Paris que de pendus et de rompus. »


Il n’a jamais su ni lire ni écrire

Si la police transforme Cartouche en bouc-émissaire, la rue l’érige en héros. Ne s’agit-il pas de l’un des leurs, sorti du faubourg malfamé de la Courtille (Belleville) ? Sa biographie le fait fils de tonnelier, élève chez les Jésuites, et fin latiniste. Or, il signe ses derniers aveux d’une simple croix ; il n’a jamais su ni lire ni écrire. On le sait petit, agile et très fort. Mais malgré tous les dessinateurs qui se sont pressés, dans sa cellule ou autour de son cadavre, on ne sait à quoi il ressemblait réellement. Il existe un buste de cire, enfermé dans le musée de Saint Germain ; moulé, dit-on, sur son cadavre, par ordre du Régent. Mais son corps a tant de fois changé de mains avant de finir disséqué par les chirurgiens, qu’on ne sait plus que penser. On prétend encore l’exhiber sur un grand boulevard parisien en... 1865 !


Cartouche est un dur. Ses exploits, soigneusement passés sous silence par la gazette officielle, résonnent dans tout Paris. Cerné dans un cabaret, il remonte un conduit de cheminée avant de se sauver en bondissant, quasiment nu, de toit en toit. Un autre jour, grimé à la va-vite, il trompe la vigilance des exempts venus l’arrêter. Deux d’entre eux l’interpellent au passage : « Cartouche est-il pris, Monsieur ? » Le larron leur décharge ses deux pistolets au visage en riant : « Pas encore ! » Lors d’une lecture publique de son arrêt de condamnation, une voix crie, à l’énonciation de son nom : « Présent ! » Et la foule de s’esclaffer. Paris s’émerveille de l’audace d'un homme qui tient tête à l’institution policière. Il faudra la dénonciation de l’un de ses proches, Gruthus Duchâtelet, pour qu’on finisse par l’arrêter, au cabaret Au Pistolet (ça ne s’invente pas). En cellule, il ne s’ennuie guère, et reçoit la visite de personnes de qualité, dont le dramaturge Marc-Antoine Legrand, venu lui soutirer quelques anecdotes et quelques mots d’argot pour sa pièce Cartouche, ou les Voleurs, jouée au Théâtre-François quelques jours plus tard, alors que Cartouche dort encore en prison. On raconte même que le Régent, grimé en marchand, se fend d’une visite à la terreur de Paris. Malgré toute cette effervescence, il parvient encore à s’enfuir ! Seulement pour se voir rapidement repris. Voici le bandit que les petites gens accablées par les crises économiques qui secouent la Régence portent aux nues : un flamboyant détrousseur de riches, le bras armé des sans-grades. Les révolutionnaires de 1789 peaufinent sa légende et bâtissent le mythe que l’on perpétue aujourd’hui, celui d’un irrésistible tombeur de ses dames, d’un Robin des Bois des faubourgs. Pourtant, à travers les minutes de son procès, Cartouche se dévoile en vrai scélérat. Sans remords ni état d’âme.


Un larron à l’ancienne

Cartouche, à la tête d’une poignée d’hommes, n’est pas le « généralissime » de l’armée des voleurs qu’en veut faire d’Argenson. Pas plus un Robin des bois, d’ailleurs. Tout juste un larron ; intègre, cependant. Contrairement à ce que raconte sa biographie, il n’a jamais été une mouche. Il en tue assez, au moins quatre. Barbier écrit en octobre 1721 : « Il a été fait, il y a deux ou trois jours, un meurtre effroyable derrière les Chartreux (derrière le Luxembourg, NDLR). On a trouvé un homme avec les parties coupées, qu'on lui avait mises dans la bouche, le nez coupé, le cou coupé, et le ventre ouvert dont tous (sic) les entrailles sortaient. (...) Il avait une carte très bien écrite (...), attachée sur lui où on lisait : Ci-gît Jean Rebati (en argot, le tué, l'assassiné), qui a eu le traitement qu'il méritait ; ceux qui en feront autant que lui peuvent attendre le même sort. » L’infortunée victime a tenté de piéger Cartouche en le faisant monter sur un coup pourri. Duchâtelet, le futur dénonciateur de Cartouche, participe aux réjouissances. On raconte qu’il trempe ses mains dans les entrailles de la mouche éventrée. Peu après, des témoins aperçoivent les assassins autour d’une fontaine publique, à laquelle ils rincent leurs couteaux. Par une douce nuit parisienne, pistolet tiré, tenant le haut du pavé, il ouvre la voie à l’un de ses amis qui traverse Paris pour aller jeter dans la Seine les morceaux de sa maîtresse fraîchement débitée ! Une scène digne des polars les plus sombres. Dur et violent, refusant de frayer avec la police, Cartouche a été un larron à l’ancienne... en 1721.


L’histoire qui n’aime pas tant les faits que les symboles, a transformé Cartouche en Robin des bois de l’Ancien régime, gourmand de femmes et rendant la justice des pauvres en détroussant les riches. Notamment grâce au livre que nous avons ressorti, La Vie & les amours de Cartouche. Profitant de la fin de la censure après la Révolution, il libère le bandit du carcan de la bien-pensance à travers un Verbe jubilatoire et l'élève au rang des flamboyants héros du peuple. Un « héros » à la française, frondeur, râleur, parfois violent ; mais du côté des petites gens. Quant à la « réalité historique »... Vivent les hommes, l’ami ! Et autant en emporte le vent.

Thibault Ehrengardt

Notre livre : magnifiquement écrit par un auteur anonyme sous forme de fausse autobiographie, il est publié vers 1789, soi-disant d'après un manuscrit retrouvé à la Bastille après sa prise ; il est vrai que des tonnes de documents confidentiels furent ainsi saisis. Reprenant les faits alors avérés de la vie de Cartouche, l'auteur les embellit de quelques aventures amoureuses mais surtout d'un Verbe flamboyant qui confère au bandit une dimension glamour inédite. En l'espace d'une centaine de pages Cartouche y passe du statut de vaurien infréquentable à celui de "noble voyou ". Une porte d'entrée exceptionnelle dans l'histoire d'un homme et d'un peuple !








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