Peter Tosh, article dans Le Monde (part 2)
Encore un peu de Peter Tosh, puisque l'article paru dans Le Monde est en kiosque jusqu'à cet après-midi !
Découvrons le titre Here Comes The Judge (Shock, 1971), enregistré sur la version Joe Gibbs du Satta Amassa Gana riddim. Appuyé sur les choeurs exceptionnels des Wailing Souls (silence in the court, the court's in session...), Tosh convoque les "grands hommes" au tribunal de l'histoire africaine et les condamne sans appel à être pendus par la langue pour avoir "lavé le cerveau des Noirs", "avoir tué 15 millions de Noirs sans raison", "avoir appris aux Noirs à se haïr..." Ce titre, qui s'inscrit dans la tradition du "Judge Dread" (un juge qui condamne les rude boys de Kingston ouest), est le germe d'une conscience politique et identitaire que Tosh développera jusqu'à l'obsession ; celle d'une réécriture de l'histoire où l'Homme noir occuperait la place centrale qui lui reviendrait de droit. Ce titre, artistiquement somptueux, plein de cet humour grinçant dont Tosh avait le secret, est à la croisée des chemins entre la révolte aveugle des rudies (simples délinquants) et celle, mystique, identitaire et politique des Rastas. Un titre qui capture la "naissance" d'une philosophie musicale. Crucial à tous les points de vue.
Notons que la version sur laquelle se pose Peter Tosh, produite par feu Joe Gibbs, est sortie avant l'original Satta Amassa Gana des Abyssinians. Ce dernier, retenu par Coxsone pour des soucis d'argent depuis mars 1969, passait en "dub plate" (ou pre-release) en sound system. L'ayant entendu, Gibbs demanda à ses musiciens, The Destroyers (feat. Tommy McCook) d'en faire une version qu'il sortit sous le titre de Ah So (Shock, 1970) ; somptueuse, elle irrita les Abyssinians au plus haut point, qui filèrent alors en studio pour sortir Mabrak (Clinch, 1971) sur lequel ils chantent : You think ah so ? It nah so. (tu crois que c'est ça, c'est pas ça). Satta massagana. This is it, originally. Thou shalt not steal. (c'est cela, l'original / tu ne voleras point). Un règlement de comptes sur fond de Satta ? Le reggae est une musique magique !