Paint it Jamaica !
Interview de Thibault Ehrengardt, qui nous parle du prochain livre Jamaican Street Art (DREAD Editions). Première partie.
Balla (gauche, biens sûr !) et l'auteur de Jamaican Street Art, posent devant une esquisse de l'artiste, dans la maison de Capleton, à Kingston.
Pourquoi le street art ?
Il est très vivace en Jamaïque. Impossible de ne pas être frappé par toutes ces fresques colorées qui hantent les murs. Dès mon premier voyage en 1999, j’ai été subjugué par ces dessins, leur touchante naïveté ; jusqu’à leur imperfection. Je me rappelle la fresque de la David House, à Papine. Son auteur, le fameux Balla que l’on retrouvera dans JAMAICAN STREET ART, l’a réalisée en... trois jours ! Un tour de force. Je l’avais mise en double page dans le magazine Natty Dread que je dirigeais alors et je m'étais même servi du portrait de Sizzla (à droite, voir photo ci-dessous) pour une couverture ! Et j'avais payé Balla pour ça. D’ailleurs, j’ai toujours hautement respecté les dessinateurs et leur travail ; et j'ai régulièrement utilisé du street art pour des arrière-plans de photos et même sur des couvertures du magazine. Je me souviens d'un sampler du magazine avec un portrait de Capleton signé Bug Hart... Bref, ces dessins hantent mon imaginaire jamaïcain depuis plus de vingt ans.
" J’ai toujours hautement respecté les
dessinateurs et leur travail..."
Il y aura donc 20 ans de photographies dans ce livre ?
Non, ces photos sont totalement inédites et ont toutes été prises récemment, à part la fresque de la David House que j’ai réutilisée pour illustrer la partie qui est consacrée à Balla. Je ne l'avais pas revu depuis 20 ans, je l'ai trouvé toujours aussi énergique, vivant. C'est un proche de Capleton depuis les débuts, il m'a entraîné chez le chanteur pour me montrer ses dernières fresques, d'ailleurs. Mais en ce moment, il est plus dans la confection de fringues...
La fresque dite de la David House, à Papine. Artiste : Balla.
La qualité du street art jamaïcain est-elle équivalente à celle des autres street arts dans le monde ?
Le street art jamaïcain est à part. Il a ce côté « hardcore », une authenticité ultime qui lui vient de naître et de vivre dans et par la rue. Au départ, les artistes peignent des façades de petits restaurants, d’épiceries de coin de rue (on parle de rum shops, en Jamaïque) mais aussi et surtout le portrait des mafieux tombés sous les balles (cette pratique a été interdite récemment mais a toujours cours). Leur but est donc avant tout informatif. Comme dans la plupart des pays du Tiers-monde.. C’est pour cela qu’ils ont cette obsession de la ressemblance, car c’est l’étalon auquel on mesure leur talent dans la rue. Ton dessin ressemble au modèle ? T’es un bon. Sinon ? C’est pas bon, man (rires). Et ces jugements, dépouillés, secs et sans détours tombent comme des couperets. Car comme pour la musique, même si la plupart n’ont jamais mis les pieds dans un musée, les Jamaïcains sont tous spécialistes du street art ; ils ont grandi avec, ils le tutoient depuis toujours. Or, la plupart des street artists ne sont pas passés par des écoles d’art - trop chères. Ils sont autodidactes et souffrent d’un complexe de reconnaissance. Cette approche, directe, frontale, confère au street art jamaïcain une pureté d’intention rare...
Superbe chemin de croix du Christ noir, à Cockburn Pen. Artiste : Ricky Culture.
Mais on croisera aussi des œuvres d’artistes internationaux dans JAMAICAN STREET ART.
En 2014, l’artiste Marianna Farag a lancé un mouvement d’envergure autour du street art, Paint Jamaica, qui a généré un véritable mouvement artistique à Southside, l’un des pires ghettos de Kingston. Depuis, le 41 Fleet Street abrite des fresques d'un genre nouveau et attire touristes et étudiants. L’endroit est géré par le collectif rasta Life Yard. Le mouvement est un peu retombé depuis mais on croise désormais à Kingston des fresques « hybrides », c’est-à-dire gorgée de cette spécificité locale mais tournée vers l’extérieur.
(à suivre)