Emperor Faith, la résurrection... (Part 1)
Il y a des affiches qui n’ont pas besoin d’illustration. Des noms qui se passeraient presque d’un visage ; ceux, légendaires, qui traversent les âges depuis les profondeurs du mythe. Tel est celui d’Emperor Faith. Ils ne sont pas nombreux, ces sound systems qui ont joué à l’âge d’or ; qui ont façonné cet âge d’or. Encore moins ceux qui ont défait King Tubby au faite de sa gloire ! Emperor Faith est de ceux-là. Connu pour jouer les meilleures dub plates Studio 1 obtenues à prix d’or auprès de Coxsone, ainsi que pour sa promiscuité avec les Wailers, Mikey Faith, opérateur d’Emperor Faith au tournant des années 70 sort de trente ans de coma artistique ! Plus qu’un retour, une résurrection. Alors, lorsque nous avons su qu’il jouait en plein air, du côté de Yallahs, en Jamaïque, en février dernier, on a sauté dans notre voiture et on a conduit à tombeaux ouverts pour goûter, nous aussi, au miel d’antan sous des cieux de légende.
Tippa Tone, King Attorney, King Tubby Hi Fi... Emperor Faith. Voici les noms aux côtés duquel s’inscrit sans rougir celui de ce sound qui a fait, en son temps, l’histoire en allant jusqu’à « tuer » King Tubby au cours d’un clash entré dans la légende. « La soirée se déroulait à la National Arena, se souvient Mikey. Au départ, je ne devais pas jouer contre Tubby mais son adversaire s’est désisté et on m’a appelé. J’aurais dû refuser, en tant qu’ami proche de Tubby. Mais on avait eu un léger différend, tous les deux ; et on était en froid (rires). Alors j’ai accepté. » Pour entrer dans l’arène face au plus redoutable de tous les sounds, Mikey se rend chez son armurier préféré, Coxsone Dodd, producteur de Studio 1. Les K7 défilent et le selector fait son choix ; un morceau sans titre attire son attention, tant et si bien qu’il en demande plusieurs mix différents. « Oui, je les payais tous, rigole-t-il. Et c’est une chose à savoir : pour faire un bon sound system, t’as besoin de dépenser du fric. Les dubs valaient cher, les disques aussi. Et j’essayais toujours d’avoir les meilleurs. » Il baptise son arme secrète trouvée à Studio 1 : « Mise à mort dans l’arène », ou Death In The Arena. Le morceau, passé en début de soirée, tue la soirée dans l’œuf, pliant le match en l’espace d’une seule sélection, depuis entrée au panthéon des riddims les plus repris dans l’histoire du reggae. Voilà d’où vient Emperor Faith. En Jamaïque, on parle de « grass roots ».
YALLAHS 2018
Ce soir-là, du côté de Yallahs, les caissons nombreux crachent un son très propre, lourdement chargé en basse. On craignait, avec une telle affiche, de ne pouvoir se garer facilement. Surtout que la deuxième partie de soirée est consacrée à un concert en mode « sound system » de la star Capleton. Mais l’endroit n’est pas bondé de monde, loin de là. On se dirige vers le bar pour prendre une bière, et on tombe sur un vieux gars avec un chapeau enfoncé sur la tête : Dillinger. On le salue. La soirée est organisée par Jah Life, le label de New York ainsi que Backawall University. Mais ils n’ont pas pu se déplacer et ils ont délégué à Huey, un vieux briscard des soirées jamaïcaines qui ne s’en fait pas. Les noms prestigieux devraient attirer du monde. Et puis, le « prophet » lui-même est attendu en fin de soirée... Capleton. Mais pour le moment, place au son de ceux que l’on appelle là-bas les « big man », les « darrons ». Et forcément, quand on parle de reggae de « darrons », on parle du meilleur reggae de tous les temps.
Mikey et son assistant, choice of versions.
HAVE FAITH
Mikey Faith, grand type à lunettes, ne joue pas de vinyles, mais sélectionne ses cuts à partir d’un ordinateur. « J’obtiens la même qualité, commente-t-il, et sur certaines dub plates, j’ai même amélioré le son en les digitalisant. » Après avoir vendu son sound system avec toutes ses dub plates il y a bien longtemps, il récupère le tout au compte goutte depuis qu’il a décidé de revenir dans le business. Et pas de doute, le son est là... Le Truths and Rights de Johnny Osbourne fend l’air tropical comme une brise mystique, balayant les esprits et faisant se lever les bières ! « Un classique en Europe ! » hurle Peter Metro au micro. Ce deejay old school, référence du early dance hall, anime la soirée. Mais ce « classique » sonne de manière... étonnante. L’oreille avertie se tend. C’est tout l’art de la dub plate : les mix proposés sont uniques. Nulle part ailleurs vous entendre cette version de ce classique !
Peter Metro, anime la "rub a dub dance" en mode old school.
Spécialiste de Studio 1, Mikey Faith fait volontiers des infidélités au son de Coxsone, comme en témoigne une ravageuse sélection de Dennis Brown. Puis un Drifter de Dennis Walks à couper le souffle ! Á tel point que quand les deejays déboulent, on regretterait presque que la soirée ne continue pas sur de simples sélections dub plates. On écouterait ça jusqu’au bout de la nuit !
(à suivre)