Des dromadaires en Jamaïque
Au détour d’une gravure de 1774, on apprend l’existence de dromadaires sur l’île de la Jamaïque. Petite explication.
L’ouvrage de l’historien Edward Long, The History of Jamaica, est une véritable “bible” de l’histoire de l’île. Publié à quelques centaines d’exemplaires en 1774, et jamais réédité, il se compose de trois gros volumes de format A4 qui contiennent quelques gravures exceptionnelles représentant aussi bien des vues bucoliques de l’île que des cartes somptueuses. Certes, cet ouvrage érudit peut s’avérer difficile d’accès. Il s’agit d’un travail d’intellectuel, qui répertorie des faits et des idées en les “empilant” plutôt qu’en les organisant de manière ludique. De plus, prenez garde ! Planteur décomplexé, nationaliste de mauvaise foi et esclavagiste convaincu, Edward Long ne charme pas toujours par la fraîcheur de ses idées. Néanmoins, son livre demeure une source indispensable pour tout chercheur tant il regorge d’informations inédites et passionnantes, des plus cruciales aux plus... étonnantes. D’ailleurs, le saviez-vous, on trouve des dromadaires en Jamaïque depuis plusieurs siècles.
Si le relieur a bien fait son travail, c’est en arrivant à la page 20 du deuxième volume de The History of Jamaica que vous tomberez sur la gravure N°7, représentant une « Vue d’un bâtiment espagnol ». Une vieille bâtisse en ruines se tient à côté d’un palmier, typique des constructions laissées par les Espagnols—ils ont occupé l’île entre 1509 et 1655. Mais le détail le plus déroutant de cette représentation de grande qualité concerne le... dromadaire, qui apparaît en bas à gauche de la gravure ! (Les Anglais, dont Long, parlent de "camel", ou chameau. Mais il s'agit bien d'un dromadaire, comme en atteste sa bosse unique). Tenu au licol par un maître, il semble naturellement s’inscrire dans ce cadre bucolique. Le texte ne nous éclaire aucunement sur la présence de cet animal originaire d’Afrique du nord et du Moyen-Orient en Jamaïque.
Les animaux les plus inutiles de Jamaïque
En fait, on trouve des camélidés dans les Antilles depuis la fin du 17e siècle; ils ont été importés par les Européens. Dans son Histoire des Barbades (1657), Richar Ligon les décrits comme des «animaux fort utiles » avant de nous renseigner quelque peu : «Nombreux sont ceux qui en ont importés, mais peu qui savent comment les nourrir. Le Capitaine Higinbotham en possédait quatre ou cinq qui se montraient for utiles à transporter le sucre (et toutes sortes de choses) que ni les chevaux ni les chariots ne peuvent transporter. Un bon chameau peut porter jusqu’à 800 kilos. » En 1767, l’auteur George Glas, nous apprend qu’un chargement de chameaux a quitté Fuerteventura, aux îles Canaries, pour la Jamaïque et la Barbade. C’est sans doute l’un d’entre eux qui se retrouve sur la gravure jointe à l’ouvrage d’Edward Long ! D’ailleurs, notre auteur aborde bien le sujet, en appendice, à la fin du troisième volume de son ouvrage ! « On a commencé à élever ces animaux ici dans le but de transporter le sucre et le rhum au marché. On avait placé beaucoup d’espoirs dans ce projet, les chameaux étant reconnus pour leur docilité et leur maniabilité, ainsi que pour leur capacité à porter des poids extrêmement lourds. » Mais l’animal s’avère maladroit sur les pentes rocailleuses de la Jamaïque, la nature « les ayant exclusivement destinés aux déserts de sable », déplore Long.
En 1774, ils n’ont déjà plus d’utilité, en dehors de « terrifier les gens et de traîner sur les routes pour renverser un chariot ou deux, de temps à autre. » On dit alors la chair des jeunes très tendre, mais les « épicuriens de Jamaïque », nous rassure l’historien, ne jugent pas utile d’ajouter le dromadaire à leur carte. En fait, « le bon cœur de leurs propriétaires leur ont épargné l’équarrissage, bien qu’il en ait coûté bien des cous rompus. » Bref, en quelques décennies, les dromadaires sont devenus « les animaux les plus inutiles de l’île. » Aujourd’hui, il reste des dromadaires dans l’île, et le complexe touristique de Prospect Plantation, du côté de St Mary, propose à ses clients des safaris photos à dos de dromadaire.
Parmi les autres animaux importés en Jamaïque, on trouve l’indésirable rat, bien entendu (dont le terrible Charles-price, introduit par un bateau danois et que Long signale comme « se nourrissant de volaille, d’œufs et de poules » !), mais aussi la mangouste, introduite en 1872 pour tenter d’éradiquer les rats, justement, ou encore le daim à queue blanche, récemment arrivé (en 1980) comme attraction touristique du côté de Portland.
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